Un excellent article paru dans le nouvel économiste du 27/10/2011 par Olivier Faure. Synthèse très complète de ce que signifie l'openspace en 2011. La parole est donnée à des experts du mobilier de bureaux et de la qualité de vie au travail qui décriptent ses enjeux pour l'entreprise : le succès des uns, les réticences des autres, les évolutions du monde du travail…   

Morceaux choisis (nous avons repris quasiment l'intégralité de la fin de l'article tellement il est intéressant) :

 

Les études le prouvent, les professionnels l’affirment, aménager ses bureaux constitue une décision stratégique. Pourtant, certaines sociétés se contentent de solutions standardisées, peu coûteuses et impersonnelles. A l’inverse, d’autres optent pour des produits sur mesure, collant au plus près de leurs besoins. Les premiers seraient donc des inconscients, les seconds des chefs d’entreprise clairvoyants. Pas si simple. “Certaines entreprises envisagent le mobilier comme un coût. L’aménagement doit aller vite. D’autres le voient comme un investissement qui va avoir un impact positif sur la performance de leurs équipes”, explique Marion Toison, directrice du marketing chez Haworth. “Dans un cas, on aménage une boîte, un existant. Dans l’autre, on construit un concept en fonction des besoins de la société, de sa configuration, de ses métiers, des individus”, résume Michaël Ettedgui, PDG d’Aménagement Bureau Conseil. 


Les tenants du standard

“Il s’agit d’entreprises qui désirent des bureaux simples, très classiques. Bien souvent, le standard peut par exemple intéresser des administrations, qui devront passer par un appel d’offres. L’intérêt, dans ce cas, c’est de pouvoir établir un comparatif, note Nicolas Thuillier, directeur de Buromat. Par ailleurs, poursuit le même, l’aménagement standard est aussi plébiscité par les entreprises qui sont soumises à des délais d’installation courts, et, inévitablement, à des contraintes budgétaires plus serrées.”

 “Sur dix personnes que vous aurez équipées avec le même bureau, vous en aurez une ou deux qui seront insatisfaites, car elles seront trop grandes, ou trop petites. Bref, le produit ne leur sera pas adapté”, note Nicolas Thuillier. Autre limite à cet aménagement low cost : le non-respect des normes. “La loi évolue sans cesse en matière de droit du travail, et il y a des pièges partout que seul un professionnel de l’aménagement peut éviter. Sans cela, vos salariés se retrouvent hors norme, et les conséquences peuvent s’avérer catastrophiques”, prévient Michaël Ettedgui.


…et ceux du sur-mesure

Patrice Simon : “L’idéal, et le plus rentable, c’est de mixer 90 % de produits standard, et d’y ajouter 10 % de sur-mesure pour faire correspondre le tout aux besoins des lieux.” “Souvent, il s’agit de sociétés qui ont des espaces complexes à aménager – pentes, sous-pentes, pièces avec des murs en angle…, explique Philippe Morin, PDG de la Compagnie des Ateliers. Le sur-mesure permet alors d’optimiser ces espaces. Les tenants du sur-mesure peuvent aussi être des gens qui ont des besoins hors norme en termes de plans de travail, pour réaliser du classement, de la mise sous pli, du façonnage en sortie d’imprimante.
Autre critère clé, qui peut faire basculer dans le sur-mesure : le besoin d’ergonomie. Patrice Simon : “Les espaces d’accueil sont des lieux propices à un aménagement sur mesure car c’est là que l’on peut créer une tendance, une originalité qui sautera aux yeux de n’importe quel visiteur. C’est l’image de l’entreprise qui est en jeu.” Autre lieu se prêtant bien souvent à un aménagement sur mesure : les espaces de direction ainsi que les espaces de détente – cafétéria, salon – pour leur nécessaire personnalisation.

 

Ergonomie, attractivité, reconnaissance

Odile Duchenne, directrice générale d’Actinéo, l’observatoire de la qualité de vie au travail : “Certes, l’espace de travail n’est pas l’unique facteur qui permet à une entreprise et ses salariés d’aller bien. Mais indéniablement, c’est une pierre importante de l’édifice.” Une affirmation que corroborent les chiffres de la dernière étude menée par Actinéo et l’Insee sur la qualité de vie au travail. Selon celle-ci, la qualité de vie au travail se classe en seconde position – citée par 38 % des salariés sondés – des éléments les plus importants dans le travail. Et au sein de cette catégorie, l’espace dont on dispose pour travailler est cité par 48 % des salariés, l’absence de bruit par 28 % et la qualité de l’aménagement de son bureau par 27 %. D’autres éléments plus secondaires, comme la qualité de l’éclairage, l’état du mobilier de son bureau ou encore la climatisation sont aussi cités par plus de 10 % des sondés. Par ailleurs, l’espace de travail a un impact important sur le bien-être de 86 % salariés, sur l’efficacité de 80 % d’entre eux, et sur la motivation de 72 % d’entre eux.

Mais comment expliquer l’importance que revêt aujourd’hui l’aménagement de bureau ? “J’identifie quatre éléments. Le premier, c’est l’ergonomie des postes de travail, qui permet aux salariés d’éviter les problèmes de dos et autres tennis-elbows, et donc, d’être moins souvent absent”, explique Odile Duchenne. Concrètement, ces aménagements passent par une rationalisation de l’espace. “Dans les bureaux, on adopte les mêmes principes que dans les entrepôts, explique Philippe Morin, de la Compagnie des Ateliers. Nous installons les éléments dont on se sert au quotidien à portée de main, ceux que l’on n’utilise qu’une fois par semaine un peu plus loin, et ainsi de suite.” Un principe qui peut sembler basique, mais dont les conséquences pour le confort des salariés s’avèrent non négligeables. Deuxième aspect qui explique l’importance accordée à l’aménagement : “Le sentiment de reconnaissance, poursuit Odile Duchenne. Le salarié qui voit ses locaux refaits à neuf et adaptés à ses besoins se sent désiré par l’entreprise. Troisième aspect, l’attractivité. Un salarié qui aura le choix entre trois sociétés, à salaire et intérêt du poste équivalents, choisira celle où les locaux seront sympathiques, avec des espaces de détente… C’est d’autant plus vrai pour les jeunes de la génération Y, qui travaillent différemment en termes de posture. Une entreprise qui aura intégré cela, et leur proposera des espaces informels et plus conviviaux aura plus de chance de les attirer. Enfin, un aménagement réussi apparaît comme un vrai plus pour l’entreprise en termes d’image aux yeux du salarié, des clients ou des fournisseurs.” Autant d’éléments valorisants pour l’entreprise dont le sur-mesure permet de jouir bien davantage que les solutions standardisées. “Et qui permettent à l’entreprise de jouir d’un ROI qui rend l’investissement initial dérisoire”, glisse au passage Michaël Ettedgui.

Autre avantage d’un aménagement au plus près des besoins de l’entreprise, sa capacité à accompagner le développement de la société, en cas de fusion, de rachat ou de toute autre modification de taille ou d’activité. Enfin, le sur-mesure apparaît idéal pour coller à une des modifications majeures du monde de travail : la mobilité. En effet, la présence au sein d’un même plateau d’un open space, de salles de réunion institutionnelles, d’espaces de réflexion pour des créatifs et de lieux de repos, permet à chaque salarié de trouver le lieu qui correspond à ses besoins du moment. Ainsi, l’aménagement recouvre une vraie dimension RH et managériale. “L’idéal, c’est d’ailleurs lorsque l’aménagement permet de transformer le management dans l’entreprise”, remarque Marion Toison. Pour autant, malgré tous ces avantages, le sur-mesure peut lui aussi présenter certaines limites. “Déjà, si le directeur financier de l’entreprise cliente ne conçoit pas la complexité d’une opération d’aménagement, et abandonne la partie conception, la partie est perdue”, regrette Michaël Ettedgui. Par ailleurs, le sur-mesure ne peut s’appliquer à l’un des modes d’organisation de l’espace les plus développés aujourd’hui : l’openspace. Odile Duchenne : “Un open space totalement sur mesure donnerait quelque chose de très chaotique. C’est un mode d’aménagement qui nécessite de l’uniformité. Dans ce cas, on recherchera la singularité sur les autres espaces de l’entreprise.”

 

Les grandes tendances

Marion Toison, directrice du marketing chez Haworth, “le bureau doit aujourd’hui s’adapter au développement du travail à distance et aux besoins de mobilité. Autrefois, les salariés étaient au bureau 5 jours sur 5. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. De même, les besoins technologiques sont aujourd’hui très prégnants. Les bureaux doivent donc être dotés de tout le matériel informatique nécessaire”. Le mobilier “devient de plus en plus technique, remarque Nicolas Thuillier, directeur de Buromat. On ne devrait d’ailleurs pas tarder à voir arriver des tables réglables en hauteur, notamment pour répondre aux besoins physiologiques des salariés.” Autre élément qui influe sur les tendances actuelles : la montée de la génération Y dans l’entreprise. Celle-ci, sensible à son confort et n’hésitant pas à imposer ses codes, est donc en partie responsable de la recrudescence des zones de repos, salles de sieste et autres coins détente. “Cela participe de la diversification des espaces, entre des lieux collaboratifs très larges, et d’autres beaucoup plus privés”, note Marion Toison. Une évolution qui se traduit aussi en matière esthétique, poursuit cette dernière : “La grande tendance, quoiqu’apparue depuis un certain temps déjà, c’est l’arrivée dans le bureau de l’esprit de la maison. Cela se traduit par des espaces lounge, ou du mobilier d’habitude réservé à la maison, les chaises de bar par exemple. Mais on devrait sortir de cette mode assez rapidement.” Autre élément dans l’air du temps en matière esthétique, l’épure. “On revient à du mobilier proche de ce qui existait il y a trente ans. Des piétements tubulaires, très fins, avec des plateaux blancs par exemple”, détaille Nicolas Thuillier.

Mais au-delà de ces modes passagères, les professionnels devraient dans les années – les mois ? – qui viennent être confrontés à de nouvelles revendications des entreprises. “Le défi va être de résoudre l’équation difficile entre l’absence de bureau attribué – pour répondre aux contraintes de mobilité – et le nécessaire sentiment d’appartenance à l’entreprise. Car avec des concepts trop extrêmes en matière de partage de bureaux, on perd chez le salarié l’ancrage dans l’entreprise. Mais à l’inverse, le retour au bureau entre quatre murs est inenvisageable”, explique Marion Toison. Et pour le manager ? Même réponse : “Il est toujours à l’extérieur, en clientèle, et ne peut s’enfermer dans un bureau. Aujourd’hui, on lui demande davantage de tirer son leadership de façon naturelle que via des signes distinctifs de hiérarchie.” Ou comment l’environnement de bureau accompagne les modes de travail de l’entreprise.