CBRE a lu d’une traite l’article « Dans la cage de l'openspace » d’Anne Chemin paru dans Le Monde culture et idées du 18/10/12. Cette nouvelle chronique dédiée aux espaces de bureau ouverts constitue une synthèse documentée sur l'origine, l'essor, les critiques et l'avenir de l'openspace.

L'intégralité de l'article est consultable ici et en voici quelques extraits :

"L'openspace est à la fois l'aménagement le plus prisé des manageurs et le plus contesté par les employés", résume la sociologue Thérèse Evette. Dans les faits, la querelle semble tranchée : au sein des nouveaux bâtiments, l'openspace est devenu la règle. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les premiers immeubles entièrement consacrés aux activités administratives voient le jour à Londres, New York ou Chicago. "On cherche alors la rentabilité foncière par la densification des parcelles urbaines et des postes de travail", analyse Thérèse Evette.

Pendant des décennies, la France reste à l'écart de ce mouvement. "Des immeubles administratifs et des sièges sociaux ont été construits dans la première moitié du XXe siècle, mais la plupart des employés de l'époque travaillaient encore dans des appartements bourgeois reconvertis en bureaux",explique Michael Fenker, directeur scientifique du Laboratoire espaces travail de l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Paris-La Villette (ENSAPLV). Il faut attendre les années 1970 pour que la France construise les premières tours de bureaux, les années 2000 pour qu'elle adopte le modèle américain du bâtiment "épais" – plus de 15 mètres de profondeur – qui ne laisse guère le choix aux aménageurs : pour que tous les salariés bénéficient de la lumière naturelle, il faut créer de vastes espaces dépourvus de cloisons.

Aujourd'hui, l'openspace semble en passe de gagner la partie : selon une enquête réalisée en 2011 par TNS-Sofres pour l'Observatoire de la qualité de vie au bureau (Actineo), les bureaux individuels sont minoritaires : ils concernent 40 % seulement des salariés. Les autres travaillent soit dans des espaces collectifs réunissant deux ou trois personnes (40 %), soit sur des plateaux ouverts de quatre ou plus (14 %) – les pourcentages restants concernent les personnes qui n'ont pas de bureau. "Les vrais openspaces ne sont pas encore majoritaires, mais ils progressent très vite car les nouvelles constructions adoptent toutes ce modèle d'aménagement", affirme Alain d'Iribarne, directeur de recherche au CNRS et président du conseil scientifique d'Actineo. Si l'openspace s'est peu à peu imposé, c'est surtout pour des raisons financières : un espace ouvert est beaucoup moins gourmand en mètres carrés qu'un ensemble de bureaux cloisonnés. En regroupant les salariés sur de vastes plateaux, les entreprises confrontées à l'explosion des prix de l'immobilier tentent donc d'améliorer le "rendement-moquette". Cette stratégie semble avoir porté ses fruits : selon Alain d'Iribarne, la taille moyenne d'un poste de travail est passée de 25 m², dans les années 1970, à 15 m² aujourd'hui. L'openspace a en outre l'avantage d'être extrêmement souple, une qualité très appréciée par les investisseurs : ils ignorent souvent les besoins des entreprises qui s'installeront un jour dans leurs locaux.

Les discours de responsables d'entreprise affirment que les plateaux augmentent sensiblement les échanges professionnels, alors que la plupart des recherches disent le contraire. "Une étude sur les bureaux paysagers allemands, au plus fort de leur expansion, a montré que 80 % de la communication se faisait au sein d'un petit groupe de travail réunissant entre six et huit personnes, explique Thérèse Evette. Des études américaines montrent en outre que, dans les grands espaces, la communication augmente certes en quantité mais baisse en qualité – elle donne lieu à des échanges qui sont professionnellement inutiles et qui finissent par déranger les salariés. Ce discours sur la communication dans les openspaces est une croyance : il n'existe pas d'activité tertiaire qui exige, pour des raisons d'efficacité professionnelle, de regrouper 50 personnes dans un même bureau !"
Au-delà de ces aménagements, l'idée même d'espace de travail a été peu à peu repensée. "L'anthropologie s'est invitée dans le débat, affirme l'économiste Alain d'Iribarne. Avec les grands plateaux, les entreprises ont créé des espaces de travail contraires au fonctionnement de l'esprit humain. Les bipèdes pensants et affectifs que nous sommes ont besoin d'un téléphone et d'un ordinateur, bien sûr, mais pour que des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des gens d'ici et des gens d'ailleurs travaillent ensemble, il faut aussi de l'envie, de la coopération, et donc des espaces informels qui favorisent l'innovation et la rencontre – ce qui n'est pas le cas des grands openspaces."Conscientes de cette impasse, les entreprises commencent, selon M. d'Iribarne, à s'éloigner d'une optique exclusivement gestionnaire. "Elles comprennent qu'il faut réhabiliter des espaces qui ont longtemps été déclassés comme les restaurants d'entreprise, les cafétérias, les jardins, les agoras. Ces lieux de rencontre permettent de réinventer le puits ou le lavoir d'autrefois : ils créent des moments d'échanges privilégiés, riches et spontanés. C'est important, car si les gens ne se connaissent pas, ne se comprennent pas, n'ont pas envie de travailler ensemble, le travail collectif ne fonctionne pas. Il faut restaurer la valeur du travail informel.