La ville du quart d’heure est un concept d’organisation urbaine prenant en compte la dimension du temps, et la vie quotidienne des citadins, popularisé par Anne Hidalgo. Quelles sont les pistes de réflexion et les évolutions concrètes portées par cette notion d’urbanisme novatrice ? Et comment les immeubles de bureaux dernière génération peuvent en tirer profit ?

La ville du quart d’heure : origine et définition du concept

La ville du quart d’heure consiste à trouver près de chez soi tout ce qui est essentiel à moins de 5 minutes à vélo et 15 minutes à pied. Les six fonctions sociales essentielles doivent être accessibles en moins d’un quart d’heure depuis n’importe quel point de la ville : se loger, travailler, accéder aux soins, s’approvisionner, apprendre et s’épanouir (sports, loisirs).

Carlos Moreno est un universitaire franco-colombien, professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises de Paris (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne). Cet expert des villes et des territoires de demain conseille de nombreuses personnalités politiques et de l’entreprise, en France et dans le monde. La maire de Paris, Anne Hidalgo a fait de son concept la ville du quart d’heure, basé sur un travail de recherche de la communauté scientifique internationale en Europe et aux Etats-Unis dans les années soixante, l’un des points clés de sa campagne de réélection. Il vise à comprendre les usages de la ville et leur dimension temporelle pour ne plus raisonner uniquement en termes d’infrastructures. Carlos Moreno raconte, dans les pages de Libération, qu’il a fait germer cette idée à une époque où le citadin ne voulait qu’une chose : aller plus vite, aller plus loin. « Dans les années quatre-vingt-dix, on s’est dit qu’on allait résoudre le problème de l’éclatement spatial des villes grâce à la technique : aller plus vite, plus loin, avec des métros plus rapides par exemple. Puis des gens comme moi se sont intéressés aux conséquences de cet aménagement de la ville sur la vie dans la ville. » Le modèle est plutôt pensé pour les quartiers en devenir des grandes métropoles. Pour arriver à concrétiser la ville du quart d’heure, il faut une véritable volonté politique (mairie, élus locaux), car cela nécessite un réaménagement des espaces, des voiries, des équipements, et plus généralement une meilleure utilisation des ressources de la ville. La démobilité serait aussi, selon lui, le seul moyen de réduire notre impact environnementale et climatique.

Le 15 juillet 2020, le C40 Cities Climate Leadership Group, une organisation internationale visant à lutter contre le dérèglement climatique et réunissant 94 des plus grandes villes du monde , dont Paris, met à son agenda la création de “villes du quart d’heure”. Le concept commence à s’appliquer un peu partout dans le monde. A Copenhague au Danemark, à Melbourne en Australie et Ottawa au Canada s’engagent dans cette voie et s’approprient cette nouvelle urbanité. Tout comme Utrecht au Pays Bas, ou Edimbourg en Ecosse. En France, la ville de Nantes a su développer le concept dans de nombreux quartiers. A Pantin, en Seine Saint-Denis, les réflexions avancent en ce sens. Les métropoles de Dijon et Mulhouse sont des territoires d’expérimentations.

Application parisienne de ce concept d’urbanisme écologique et durable

Pour Carlos Moreno, « La ville du quart d’heure n’est pas une baguette magique, il faut l’adapter aux conditions locales de chaque ville. Paris est à la fois une ville monde et une ville déséquilibrée entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud. Il y a des rééquilibrages, notamment économiques, d’habitat et de travail à opérer. » La ville du quart d’heure peut réellement favoriser la cohésion sociale dans les villes, en réduisant certaines inégalités. Le territoire devient polycentrique avec la mise en place de lieux de co-working, la création d’espaces verts, de parcs, l’installation d’entreprises, des activités culturelles, des activités sportives et des pistes cyclables de qualité. Débattu pendant la campagne municipale de 2020, ce projet permettrait, selon Anne Hidalgo, de faire de Paris la ville de la proximité, des services et de l’entraide. Pour que tout soit proche, elle compte transformer des endroits déjà existants en « lieux multi-usages », comme les écoles et les collèges – qu’elle considère comme le cœur de chaque quartier – qui pourraient ainsi ouvrir le week-end afin que les parisiens puisse s’y retrouver pour jouer, lire et se détendre.

De la ville du quart d’heure aux « bureaux du quart d’heure »

La ville du quart d’heure est aussi une réponse à la crise sanitaire que nous traversons. De fait, avec l’épidémie de Covid -19, les Parisiens ont dû limiter leurs déplacements. Avant la pandémie, tous les matins entre 6h et 9h, 70% de la population active convergeait dans 10% du territoire. Lorsque le Covid-19 a frappé l’année dernière en 2020, il a entraîné avec lui la fermeture des écoles et des bureaux, vidé les transports publics et, dans certains cas, restreint les habitants à un périmètre étroit autour de leur maison. D’où l’impérieux besoin de trouver près de chez soi les besoins « vitaux » et de limiter les risques de contamination propres aux transports et lieux publics. Des solutions rapides ont déjà été trouvées avec, par exemple, les pistes cyclables provisoires et les terrasses éphémères.

Selon Carlos Moreno, l’évolution spectaculaire vers le travail à distance a démontré que la ville du quart d’heure est non seulement réalisable, mais qu’elle pourrait aussi contribuer à régénérer les quartiers urbains. Le but est de “dé-saturer les espaces des services des transports publics ou privés, avec la possibilité de promouvoir, non pas le télétravail à son domicile, avec l’ordinateur sur ses genoux et les chats, les chiens, les enfants, mais plutôt à décentraliser le travail”, précise Carlos Moreno. “Il y a beaucoup de métiers de type services qui peuvent faire l’objet du télétravail. Faire une heure de trajet pour être derrière un ordinateur de bureau, ça n’a pas beaucoup de sens s’il vaut mieux une heure derrière un ordinateur près de chez soi. Près de chez soi, ça signifie qu’on peut créer des nouveaux lieux”.

SFL est un pionnier de la ville du quart d’heure, et remet les bureaux au cœur d’un environnement résidentiel et commerçant avec BIOME, vaste projet de 23 000m² situé entre la rue du Commerce et le Centre Beaugrenelle dans le 15ème arrondissement. « L’idée était de créer un écosystème vivant dans lequel 2 000 salariés pourront non seulement travailler ensemble et développer une vie sociale, mais aussi créer des interactions avec le milieu naturel et le quartier qui l’entourent, raconte Dimitri Boulte, directeur général délégué de SFL au Figaro. Nos études montrent que c’est ce que recherchent les salariés pour leur lieu de travail, au sortir de la crise sanitaire. Le bureau doit revenir au cœur de la ville, martèle Dimitri Boulte. Les salariés veulent “consommer” les services, les commerces, les restaurants, la nature… ». SFL créée ainsi le concept de « bureaux du quart d’heure ».

Gecina créée également l’événement avec son projet MONDO situé sur la très animée rue de Courcelles dans le 17ème arrondissement, qui développe 30 000 m² de bureaux, services ultra qualitatifs et un concept de food court ouvert à tous, œuvrant ainsi à un vraie porosité entre vie de bureaux et vie de quartier.

D’autres projets parisiens éloignés du Quartier Central des Affaires viennent brouiller les pistes entre vie personnelle et vie professionnelle en proposant leurs propres codes à des utilisateurs avides de qualité de vie au travail, comme DAUM.N à proximité de la coulée verte dans le 12ème arrondissement (Generali), Streambuilding dans le 17ème (Covivio), la Cité Universelle dans le 19ème (GA Smart Building), ou encore les nombreux immeubles de bureaux de l’Avenue de France dans le 13ème. Une tendance de fond qu’il conviendra de suivre de très près dans les mois à venir.