CBRE a traduit l'article "From Cubicles, Cry for Quiet Pierces Office Buzz" de John Tierney paru dans The New York Times le 19 mai 2012. Comment les salariés se comportent-ils pour se préserver des nuisances sonores ? De quelle manière l'absence de confidentialité impacte-il la concentration et les conversations ? Tohu-bohu ou silence de mort, quel est le bruit de fond de votre espace de travail ?


Du fond des openspace, l’appel au silence transperce le bruit de fond des bureaux

Les murs ont fini par s'effondrer dans les bureaux, partout, mais les résidents des postes de travail modulaires en érigent toujours de nouveaux. Ils se barricadent derrière des caissons mobiles de classement des dossiers. Ils fortifient leurs cloisons par des tours de livres et de papier. Ou ils suivent une « loi évolutive de l’étiquette technologique », comme l’a formulé Raj Udeshi dans l'openspace qu’il partage avec ses homologues, des chefs d'entreprise de sociétés informatiques, dans le bas de Manhattan.

« Les casques, voici le nouveau mur », dit-il, en indiquant de l’index les oreilles recouvertes de ses voisins.

La culture du poste de travail modulaire tient déjà de la chute humoristique – combien de moyens peut-on trouver de se contrarier mutuellement toute la journée ? – mais aux dernières nouvelles, ces plaintes sont actuellement entendues par les interlocuteurs idoines, parmi lesquels se trouvent des cadres et des spécialistes en sciences sociales.

Les sociétés sont en train de repenser la conception des bureaux, en acheminant des bruits de fond spéciaux par les conduites pour améliorer l'acoustique et en recourant à des ingénieurs pour régler les problèmes de volume. « Masquer le son » est devenu une phrase qui fait parler d’elle dans les couloirs.

Les scientifiques, pour leur part, sont en train de mesurer l’infortune et la faible productivité des travailleurs distraits. Après avoir étudié 65 000 personnes au cours de la dernière décennie en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique et en Australie, les chercheurs de l'université de Californie, Berkeley, relatent que plus de la moitié des employés de bureaux sont mécontents du niveau « d'intimité des conversations », ce qui en fait partout la première des récriminations dans les bureaux. « En général, les gens n’aiment pas l’acoustique des openspace’, dit John Goin, responsable de l'étude faite par le Center for the Built Environment de Berkeley. « Les fauteurs de troubles sonores ne sont pas si gênés que cela par le manque d'intimité, mais la plupart des gens ne sont pas contents et les concepteurs d’espace finissent par se mettre à faire attention au problème ».
 

Quand Autodesk, société logiciels, a déménagé dans un bâtiment en plan ouvert à Waltham, dans le Massachusetts, il y a trois ans, elle a installé ce que l'on appelle un système à bruit rose : un léger bruissement émis par l'intermédiaire de haut-parleurs, qui, à l’entendre, ressemble à un système de ventilation, mais qui est spécialement élaboré pour correspondre aux fréquences des voix humaines. Autodesk a fait fonctionner le système pendant trois mois sans le dire à ses salariés – puis, pour en mesurer l'impact, l’a arrêté un beau jour. « Nous avons été surpris du nombre élevé de plaintes que nous avons reçues », Charles Rechtsteiner, responsable des installations d’Autodesk. « Les gens ne savaient pas exactement ce qui avait changé, mais ils savaient que quelque chose n'allait pas. Ils se trouvaient gênés par des conversations à presque 20 mètres de distance. Quand le système est en marche, les conversations deviennent inintelligibles à une distance de 6 mètres ».

La raison d'être initiale du bureau en openspace, à part des économies d'espace et d'argent, était de favoriser la communication entre les salariés, meilleur moyen de les contraindre à collaborer et à innover. Il s'est avéré que trop de communication a parfois eu l'effet inverse : une perte d'intimité, plus l’envie urgente de tordre le cou à son voisin.
 
« De nombreuses études montrent que les gens ont des conversations plus brèves et plus superficielles dans des bureaux en openspace parce qu'ils ont conscience qu'on les entend parler, dit Anne-Laure Fayard, professeur de management au Polytechnic Institute de l’université de New York, qui a étudié les bureaux en openspace . « Chacun en est toujours au stade où il expérimente des moyens d’équilibrer le besoin de collaboration et le besoin d'intimité ».
 
Le bureau de M. Udeshi par exemple , chez l’incubateur d'entreprises N.Y.U.-Poly, un loft SoHo avec des dizaines de start-up hébergées dans des postes de travail modulaire de faible hauteur. Les chefs d'entreprise disent qu'il leur vient parfois des idées utiles en entendant des conversations qui ne leur sont pas destinées, mais qu’ils se retrouvent aussi à battre en retraite dans les toilettes ou dans un placard à balais pour bavarder en privé. En quand il leur faut discuter d'un sujet délicat avec quelqu'un qui est assis à côté d’eux, ils ont souvent recours à l'e-mail ou à la messagerie instantanée.
 
« On parle plus à des gens dans un bureau en openspace, mais je crois qu'on a moins de conversations intéressantes », dit Jonathan McClelland, consultant en énergie travaillant dans le loft. « On finit par être très interrompu par les pensées vagabondes des gens ».
 
Malgré l'existence de plaintes comme celle-ci partout dans le monde, la conception en openspace reste la norme, en partie parce qu'elle est moins chère, et en partie parce que de nombreux cadres pensent que les avantages l'emportent sur les inconvénients. Elle est particulièrement populaire dans les lieux de travail qui nécessitent une collaboration informelle constante, comme les salles de presse, les salles de marché et les bureaux de campagne politique.
 

Il existe au moins un défenseur connu du bureau en openspace qui ne baisse pas les bras, le maire de New York Michael R. Bloomberg, et il semble que l’« enclos » sans aucun mur qu’il a mis en place à la mairie ait gagné la faveur de beaucoup de ses utilisateurs. « L’enclos a vraiment permis la libre circulation de la communication et l'efficacité », dit Edward Skyler, ancien maire-adjoint qui travaillait à quelques mètres de M. Bloomberg. « Il a éliminé les sentinelles. Il n'y avait pas besoin de prendre rendez-vous pour voir quelqu'un ».

Paradoxalement, un lieu en effervescence comme une mairie peut être moins source de distraction qu'un bureau insonorisé. De nombreux bureaux sont maintenant si calmes qu’on y entendrait voler une mouche, grâce aux systèmes de ventilation silencieux, à la mise au rebut des machines à écrire crépitantes et à la victoire de l’e-mail sur le téléphone. Avec si peu de bruit en arrière-fond, les résidents des postes de travail modulaires ne peuvent s'empêcher d'entendre parler quelqu'un qui ose entamer une conversation.
 
Les chercheurs de l’Institut de la Santé au Travail de Finlande ont étudié précisément quelle est la portée de ces conversations et ont analysé leurs effets sur ceux qui leur prêtent une oreille volontaire : une baisse de 5% à 10 % de la performance des tâches cognitives exigeant l'utilisation efficace de la mémoire à court terme, comme la lecture, l’écriture ou d'autres formes de travail créatif. « Le bruit est le problème le plus grave du bureau en open space, et les conversations sont le type de bruit le plus perturbant parce qu'il est directement compris dans la mémoire de travail du cerveau », dit Valtteri Hongiston spécialiste en acoustique à l’institut. Il a constaté que les employés étaient plus contents et avaient une meilleure performance en tâches cognitives quand le son des conversations était masqué par le bruit de fond du gentil murmure d’une cascade.

Les concepteurs de bureaux ont commencé à ajouter des matériaux d'insonorisation aux postes de travail modulaires et à expérimenter des configurations qui donnent aux employés des endroits calmes où se retirer. La tactique commune est de réserver une petite pièce destinée aux conversations et aux appels téléphoniques. Mais parfois, la pièce est monopolisée par une seule personne qui la réquisitionne pour y travailler toute la journée, et d’autres fois, la pièce est peu ou pas utilisée.
 
Le professeur Fayard, le chercheur au N.Y.U., a constaté qu'on évite certaines salles de réunion parce qu'elles semblent trop formelles et intimidantes. « Les gens font attention à l'image, comme s'ils se retiraient dans la pièce pour cacher quelque chose ou pour parler d'un problème », dit-elle. Il est souvent mieux d'avoir un mélange de proximité et d'intimité en ayant un espace intermédiaire, comme un renfoncement où les gens peuvent aller pour bavarder un peu ».
 
À titre d'exemple supplémentaire de cet espace intermédiaire, l’on peut citer la banquette de séparation délimitant un espace réservé, que les concepteurs de bureaux ont récemment copié des restaurants. Dans le bureau d’East Village de What If, société de consultants, les gens qui veulent parler peuvent se retirer sur des banquettes style brasserie, à la frontière de l’openspace commun.
« Il y a quelque chose de très satisfaisant dans une banquette de séparation », dit Barrie Berg, le directeur de l'implantation américaine de l'entreprise. « On peut voir ce qui se passe autour de soi, et les gens peuvent vous voir, mais vous êtes toujours en train d’avoir une conversation privée sans déranger personne autour de vous. Nous sommes une culture de gens qui travaillons mieux avec un bruit de fond autour de nous, mais il faut que ce bruit de fond soit gérable ».